Le géant de Roquefort

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Le cabinet Entrelieux de Franck Buffeteau mène, à la demande de la commune de Roquefort (40) une étude sur la mise en valeur de la ville et de ses alentours.

Pour cela, ils ont collecté les données géologiques, géographiques et historiques de la ville. Ils y ont ajouté des enquêtes poussées auprès des habitants de la ville : conseil municipal, commerçants, enfants ainsi que toutes les personnes de Roquefort et des alentours désirant participer. Ils ont remarqué que la confluence des rivières dessinait un profil humain, ce qui a stimulé l’imagination de tous. Pour ma part, j’ai eu envie de créer un conte étiologique qui pourrait expliquer l’origine de ce profil.

 

 

Le géant de Roquefort

Tous les anciens, à Roquefort et dans ses environs connaissent lou Bécut. Ils le décrivent comme un ogre à un seul œil, qui pesait de dix à quinze quintaux, extrêmement vorace et qui courait contre le vent.

 

On connaît les légendes de Contis qui racontent la fin d’un géant enterré sous le sable d’une dune, et celles de Castets et de Rion où d’autres moururent empoisonnés ou happé par une fontaine. Les Bécuts, voraces et amateurs de chair tendre était utilisés par nos parents et grand-parents pour faire peur aux enfants désobéissants.

 

Nos grands-parents nous racontent aussi que le bon géant Gargantua avait libéré notre fière Gascogne de l’envahisseur anglais, déracinant les chênes et les lançant sur leur armée jusqu’à ce qu’ils regagnent leur vieille île d’Albion.

 

Voici pourtant une histoire que peu connaissent mais qui a laissé des traces jusque dans le paysage de notre bon pays Roquefortois. Nul n’avait découvert ce secret caché et bien gardé jusqu’à ce qu’un groupe de raconteurs de pays ne vinssent à Roquefort pour ramasser les morceaux éparpillés de nos histoires, contes et anecdotes de Roquefort et de sa Petite Lande. Ces hommes et ces femmes curieux et à l’œil éveillé remarquèrent la trace d’un géant dans les méandres de la Douze et de l’Estampon à la confluence de ces rivières.

 

Ils nous montrèrent la carte de notre bon pays et des rivières s’y rejoignant à Roquefort. Ils nous dirent :

« Mais si regardez bien, on remarque ce profil, imprimé dans vos berges ».

Les roquefortois se rapprochèrent de la carte, s’y penchèrent à tour de rôle et là : pas de doute ! Apparu un visage de profil ! On distinguait bien partant de l’Estampon un haut front, un creux pour l’œil, un nez droit, une bouche un peu boudeuse et son menton, fuyant. Certains même, eurent l’impression de voir en haut de son front un béret !!!

 

 

Confluence_de_l_Estampon_et_de_la_Douze

 

 

En mon for intérieur, je me dis « Ceci ne peut être un hasard, il y a forcément une explication. Lequel de nos deux géants landais Gargantua et Lou Bécut a-t-il imprimé de manière si indélébile son visage dans notre pays parcouru de rivières et de ruisseaux ? »

 

C’est alors que je décidais de mener l’enquête : les seules qui pourraient me renseigner étaient las hades blanchas, les fées blanches malines et moqueuses qui vivent dans les grottes du Cros.

Une nuit sans lune, malgré mes peurs les plus anciennes, poussée par la curiosité je me risquais aux grottes …

 

Je fis un petit feu pour me réchauffer et surtout pour me rassurer. Engourdie, je m’assoupis … un hululement près de moi me fit ouvrir les paupières et c’est là je les aperçus riantes et l’air malicieux. Elles se ressemblaient comme deux gouttes d’eau, comme des jumelles … Je pouvais observer les lueurs des flammes sur leurs cheveux dorés et leur robes blanches.

 

Elles me dirent :

« Ça fait bien longtemps que nous n’avons pas vu un humain, dans nos forêts. Ils ne savent plus rien regarder depuis qu’ils se promènent tous avec leur écran maudit. »

Qu’est-ce qui t’amène ici, humaine ? »

Intimidée mais sachant qu’elles ne me laisseraient pas d’autre chance d’avoir ma réponse je me lançai :

 

« Des raconteurs de pays ont remarqué que la réunion de l’Estampon et de la Douze montre le contour d’un profil de géant, savez-vous quelque chose à ce propos ? »

 

Elles partirent d’un grand rire en s’interpellant l’une l’autre :

« – C’était toi, non ? Qui lui avait joué ce tour ?

– Oui, oh ce n’était pas bien méchant ! Une nuit, il y a fort longtemps, lou Bécut s’était endormi la tête sur le clocher de Roquefort et les pieds dans les champs de Sarbazan. Je n’étais qu’une jeune fée à l’époque et cela m’a fait rire de le surprendre là. Comme je commençai tout juste à utiliser mes pouvoirs, je me suis amusée à dessiner son profil dans les rivières. Il ne tarda pas à s’éveiller tout gargouillant : l’eau déjà lui emplissait le nez et la bouche !!! Il bondit alors sur ses pieds en grognant et s’enfuit trouver un lit plus confortable et surtout moins mouillé !!! On ne l’a pas revu de sitôt ! Mais cela n’a pas empêché les paysans de continuer à faire peur à leurs enfants avec l’ogre ! »

 

Pleine de gratitude, je leur répondis :

« Merci chères fées, je vais pouvoir … »

Je m’interrompis : je ne parlais qu’au feu et à la rivière : elles avaient disparu. Elles sont comme ça les fées, apparaissant et disparaissant à leur guise. Je pouvais m’estimer heureuse qu’elles ne m’aient pas joué de mauvais tour !

 

Allumant la lumière de mon portable pour ne pas tomber dans un trou ou déchirer mes vêtements dans un fourré, je rentrais chez moi avec ma réponse que je pensais bien raconter le lendemain à nos conteurs de pays.

 

Sources

F. ARNAUDIN Contes populaires de la Grande Lande, éditions Confluences, 1994, Bordeaux

J. HARANBAT Chroniques mystérieuses des Landes, 2007, éditions Sud-Ouest, p.127-128

J. PEYRESBLANQUES Les meilleurs contes et légendes des Landes, 2013, Paris

Merci à Cathy Fondeviolle pour son aide.

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